photo : Alex Page
Née en 1989, Jeanne Held est diplômée de l’ENSAD avec les félicitations du jury en 2013. Issue du monde de la scénographie, elle déploie une pratique trans-média, articulée autour du dessin.
Portée par sa curiosité pour les sciences, elle s’interroge sur les relations d’hybridation et de possibles continuités entre le vivant et le minéral, sollicitant notre empathie pour les espèces sous-marines et intra-terrestres.
La notion d’impression, physiologique et technique, permettant de restituer l’image flottante et rétinienne, est au centre de sa pratique - elle nourrit une réflexion sur la posture des spectateur·rices via la mise en espace de ses œuvres.
Finaliste de différents prix d’art contemporain (prix des Amis du Palais de Tokyo 2017 / prix ICART Artistik Rezo 2024 / prix du Dessin Pierre David-Weill 2025) son travail bénéficie du soutien de collectionneurs français.
Jeanne Held vit et travaille à Lyon depuis 2017. Elle est actuellement artiste résidente au sein de la Maison de l’Écologie et membre de l’Astrolab à la Friche Lamartine (Lyon).
Prétexte à une interaction physiologique avec l’image, ma démarche se fonde sur l’observation profonde et directe de mes sujets, spécimens naturels que je collecte dans mon environnement proche (Lyon et Charente-Maritime). À rebours des tendances virtuelles, je cherche à entretenir un rapport physique aux matériaux que j’emploie (fusains, tissus, papiers, béton, zinc, etc.), en engageant une « conversation » avec la matière. Je déploie un processus que j’effectue seule, dans la lenteur.
Marquée par les renversements philosophiques que propose la pensée en pli et en rhizome de Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Mille plateaux (1), je m’intéresse à des sujets organiques, qui n’ont pas été conçus ni pour ni par l’homme. Ces expériences de pensée puisent leurs modèles dans le vivant et dans les tremblements de la nature en renversant les logiques de hiérarchies établies par l’humain. Au moyen du trouble de l’image, je cherche à questionner le rapport de troublante parenté que le spectateur entretient avec le monde « sauvage », offrant un miroir dans lequel le un se fait multiple, singulier et pluriel.
Les troubles de la perception, convoqués au travers d’une image simultanément trop nette et trop floue, à la lumière d’un éclat qui donne à voir dans le même temps qu’il éblouit, sont autant de moyens qui éveillent nos sens et nous poussent à nous déplacer. Attachée à l’image animée, j’emprunte au cinéma ses jeux de flou, de profondeur de champ, questionnant la notion de points de vue et d’images séquentielles.
Nourrie par la pensée de philosophes, écologues et géologues tels que Rachel Carson, Olivier Remaud et Patrick de Wever qui interrogent la légitimité de l’anthropocentrisme, ma recherche m’amène à décloisonner le vivant et l’inerte en développant une écriture personnelle où le flou pictural de Gerhard Richter se mêle à l’ornementation baroque. Marquée par la découverte de l’anthropocène géologique, mes recherches s’articulent à présent autour des relations de cohabitation, de symbiose et de transmutation entre le minéral et le vivant.
Ode au microscopique, à l’étrange, à ce qui se forme ou se défait dans des temps parfois immémoriaux, je cherche à développer une relation de profonde altérité avec mes sujets, animaux ou minéraux, qui ne nous ressemblent pas. Par ce face-à-face attentif, les sujets observés échappent à l’image générique standardisée par le naturaliste, s’offrant comme des présences concrètes, multiples et uniques, qui s’abstraient de toute idée préconçue à mesure qu’elles sont observées : au travers de la pratique du dessin, je tente de me défaire du langage et de ses concepts, pour me retrouver face à l’indicible de la forme.
Je m’intéresse à une image qui ne se donne pas à voir de façon limpide, mais qui se révèle graduellement, dans le trouble. L’image est à la fois le sujet et le support de mon travail.
Comme dans l’art du portrait, je sollicite davantage la présence à la représentation - paradoxe de l’apparence qui cherche à transcrire l’essence - en créant une image débordante de matérialité, je cherche à éveiller visuellement notre sens de l’haptique, notre envie de toucher le monde.
Jeanne Held